Saturday 14 February 2009

Dr. Koffi Célestin YAO: Stuart Brisley - Symphonie pour un rituel macabre

Image: Stuart Brisley.  Photo (c) Petra Köhle + Nicolas Vermot Petit-Outhenin

En ouverture de rideau, notre regard est frappé par la posture énigmatique et la disposition particulière d’un corps imaginaire, un corps fétichisé, un corps totémisé et chamanique, placé sur un trône mouvant.
Deux tables sont dressées et notre regard est presqu’envoûté et attiré vers l’une des tables de laquelle l’on peut percevoir une forme évoquant clairement un macchabée recouvert d’un voile noir. Cette forme énigmatique occupe une position presque centrale de par sa disposition même. L’on voit très bien d’entrée de jeu que tout va et peut se jouer autour d’elle. Le décor est planté.

Le corps est ensuite sorti de sa couverture pour occuper un siège aux allures royales qui se transforme progressivement en un échafaud depuis lequel il sera redescendu pour subir une décapitation inattendue. Autour de l’artiste, il y a des « voiles », il y a beaucoup de liens voilés, qu’il dévoile au fur et à mesure. Des « voiles » qu’il déroule, qu’il brise, qu’il distord, qu’il froisse, jusqu’à saturation. Le second tableau est fait d’une avalanche d’actions brutes, de gestes secs, de chutes fortes et violentes, de combats à l’issue improbable, entre un être et une « chose » qu’on pourrait percevoir comme sa propre créature. L’homme semble se déchaîner ou se décharger de quelque chose d’indicible en lui. Il coupe ou il égorge certainement, il retire de la matière à l’intérieur de ce corps inerte, il l’évide, comme s’il lui enlevait de la matière impropre, fécale. Il donne l’impression de l’apprêter pour quelque chose de grave, pour une solution finale. Dans un vertige de sens, dans une débauche brutale d’énergie, de force, de puissance, et d’action, il inflige à « sa » créature un traitement ambigu et des sortes de sévices corporelles, comme l’on ferait d’une sorte d’exutoire trouvé pour exorciser un mal profond.
Dans l’ultime tableau l’homme semble avoir mis à mort sa créature, et comme débarrassé du poids de quelque chose de lourd et d’indicible, dans une sorte de symphonie achevée. Nous avons probablement assisté là, à un combat sans merci, entre un dieu et sa créature. Un dieu qui lentement et surement, a sorti sa créature de sa couverture d’ombre, du néant où elle était.
De son monde sans lumière, il l’a ramenée à la lumière, il l’a honorée, célébrée en la plaçant d’abord à sa hauteur puis au dessus de lui, au plus haut point de son élévation, son intronisation et magnificence comme sur une pyramide Incas, ou un autel Dogon. L’on a cru reconnaître l’effigie de Marcel Griaule célébré au dessus d’un autel Dogon. Puis, soudain, c’est la chute provoquée, chute brute et brutale, la mise à mort, la décapitation, le corps est trainé au sol, la tête est brandie comme un trophée. Enfin, face à l’unique place qui reste désormais, l’homme s’assied, fier et triomphant. Seul désormais face au public, dont il se sépare par un cordon de démarcation, d’isolement temporaire. Autre rupture. Le rideau retombe. S’agit-il d’un rituel macabre ?
Il faut noter que nous sommes comme envoûtés et prisonniers de cette poupée sur laquelle l’artiste va s’acharner, jusqu’à la séquence de décapitation finale. Même si le spectre de la mort et de la destruction semble roder autour de la scène, le caractère ambigu attaché à cette forme de rituel est qu’on ne peut savoir distinctement s’il s’agit même d’une mise à mort, d’une double mise à mort ou de la simple préparation et de la célébration d’un mort cher, duquel est récupérée une certaine part mythique – le cœur, la tête etc. Une symphonie pour un rituel macabre et dramatique de la vie.

Nous sommes frappés par la théâtralisation particulière de l’espace, notamment par la disposition inhabituelle du public de facto amené à être faussement partie prenante directe du rituel, du dispositif. Plus souvent, il est de coutume de penser qu’il y a une logique des emplacements du public et des acteurs lors de performances ou de spectacles. En un sens, le public occupe les sièges au niveau du gradin et l’artiste est sur scène. Stuart Brisley à entièrement inversé les rôles car ici, tout le monde est sur scène ou presque. Les chaises ont été entièrement descendues du gradin pour occuper une part importante de la scène avec l’artiste. Ce qui reste du gradin est entièrement recouvert sous de larges bandes de papier kraft. L’on aurait pu dire qu’il n’y a pas, d’entrée de jeu, de séparation et que le public pourrait être intégré dans l’action. Très vite, cependant, l’on se rend compte de l’indivisibilité du dispositif et que le public n’a aucun autre rôle véritable à jouer que d’assister. On peut penser qu’il y a là aussi une inversion des rôles quant à l’utilisation de l’espace d’action et quand l’artiste prend au public son site habituel pour lui concéder partie de son terrain d’action et de travail. Une théâtralisation à l’extrême, une forte inversion des rôles où tout est possible, où tout joue contre son contraire. Finalement, qui est le maître ? Qui est le créateur ? Qui est anéanti ? Qui est sur scène et qui assiste à la scène ? Qui observe qui ? Une véritable perturbation des sens et des rôles.


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