Non dansant. Non quotidien. Tentative d’observation du corps performatif de Stuart Brisley
Quels paramètres pour l’humain ? Quelle séparation de soi à soi, aux autres et au monde opère dès lors qu’une corporéité s’expose au regard ? Quel embrayage énonciateur s’y amorce, quelle désignation, fondant toute conscience, et discours ; et saisie politique, en définitive ?
Stuart Brisley paraît s’avancer dans un espace (en trois dimensions, ouvert), plutôt que sur un plateau (à deux dimensions, circonscrit). Soit un espace donné, mais qu’il va incessamment auto-générer. Espace de mémoire, espace d’actions, espace sonore, espace symbolique, espace d’exposition, espace d’expérimentation, espace de rencontres, espace de compositions temporelles. Espace(S).
Son corps d’homme déjà âgé n’est pas suspendu en hauteur, mais composé par sa base : une marche régulière, organisée par le bas sur une assise ferme au sol, pieds développés dans des chaussures légères. Immobilités tranquilles, en sous-tension, non démonstratives, peu affectivées ; solidement charpentées, humainement habitées, dans un tonus épaissi, apaisé. Traductrices d’une personnalité ; non créatrices d’un personnage.
La colonne vertébrale peut s’autoriser à pencher, vers l’avant : elle borde certains équilibres délicats, relâchés dans des abandons de poids ; elle prédispose aussi à l’action des membres supérieurs sur le monde. Car ce corps est ouvrier, disponible à la saisie entreprenante de son environnement. Il est actif, producteur, reçoit les matières, s’y confronte, les brasse, les met en tension et les agence. Il n’élabore pas – a fortiori n’inscrit pas – des figures ; il provoque des événements formels. Il s’insinue au contact de ces matières, les soulève, déplace, tire, froisse, sans viser à quelque rigoureuse mise en ordre. En cela générateur, incitateur, inducteur. Mais non architecte, ni constructeur.
Corps multidirectionnel, dans une attention exacerbée aux directions de l’espace, comme à son peuplement. Précis et incisif dans l’intentionnalité de telle trajectoire ; ou de telle action. Mais tout autant disponible, à l’écoute d’une sollicitation tout ailleurs. Corps en parcours. Corps traçant. Corps rythmique aussi. Corps sonore, polyphonique par ses productions au contact des objets (des pas marqués, des masses lâchées, des pressions crissées), et rhapsodique dans les grandes portées de ses répétitions, ritualisations, désignations et relances.
Corps à la tâche, et au défi. Obstiné dans l’action. Fatigué dans le travail. Haletant dans la pause. Corps au risque des fracas d’objets, ascensions de gradins, descentes de marches escarpées. Défiant un terrain inégal, développant des plans, crevant des sols, transperçant des obstacles.
Rien de cela ne définit un corps dansant, virtuose, expert et sur-potentialisé par son entraînement. Tout cela dispose un corps dans une diversité de branchements, de flux et de niveaux, perpétuellement auteur des métamorphoses d’un monde qu’il produit à l’instant même où il le vit. Phénoménologique et immanent. Corps quotidien dépassé, sur-densifié, transcendé d’intensions et déterminations.
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