Friday, 13 February 2009

Gérard Mayen: Un court-circuit mamellaire


Deux minutes en une soirée, pour retourner l’impact des re-enactments de performances féministes par Katia Bassanini, 12 février 2009

Image: Katia Bassinini 'Mon oeil', 12 février 2009.  Photo (c) Petra Köhle + Nicolas Vermot Petit-Outhenin

Fin des années 60, début des années 70. Valie Export arpente les rues de villes occidentales, portant devant sa poitrine dénudée une boîte de carton qui simule un petit théâtre. Elle invite des passants qu’elle croise à glisser leurs mains à travers le rideau et à toucher ses seins. Cette performance, Tap and touch cinema, touchant  directement à la représentation de la femme dans le 7e art, demeure l’une des plus fameuses, et percutantes, de cette artiste performer.

Quarante ans plus tard, en ouverture du festival Performance Saga[1] , Katia Bassanini arpente le hall du théâtre (un espace seulement semi-public, rassemblant un public sélectif). Elle porte une perruque extravagante, des lunettes invraisemblables, et une prothèse caoutchouteuse imitant des seins énormes. Au total : un genre d’accoutrement burlesque pour soirée de carnaval dans une école de commerce. Elle s’adresse à des spectateurs – et spectatrices – patientant avant le début des représentations. Elle leur propose de griffonner leur signature  sur sa fausse poitrine en plastique. Puis elle appose au revers de leur vêtement un post-it qui porte la mention : MES SEINS SONT A VOUS       VALIE .[2]

La programmation du festival Performance Saga problématise les conditions de possibilité de transmission de l’art-performance, entre sa génération originelle pionnière – dont Valie Export – et la génération actuelle de ses artistes – dont Katia Bassanini. A ce stade de la soirée, le premier modèle de cette opération pouvait laisser perplexe, semblant consister en un  glissement, affadissant, depuis Tap and touch cinema vers quelque attraction inoffensive de lever de rideau ; manipulant de surcroît des références manifestement ignorées de l’essentiel du public auquel il est adressé ; ne permettant pas, dès lors, une pleine relecture critique. Quoique… On va  y revenir .

Fin de soirée à présent. Robin Deacon termine sa propre performance sur le travail de Stuart Sherman. Il est bien tard. La salle commence à se vider dare-dare. Rien n’annonce une nouvelle performance de Katia Bassanini. 

Laquelle jaillit alors des gradins. Se précipite sur le plateau. Enveloppée d’un immense sari aux couleurs rutilantes, vaguement agrafé. Visage grimé sous longue perruque brillante anthracite. S’exclamant qu’il est désormais dépassé de s’exhiber nue sur la voie publique. Nouant à sa cheville le nœud coulant d’une corde. Avalant des cachets pour mettre fin à ses jours. Enduisant ses membres d’on ne sait quel lubrifiant. Evoquant un fist fucking sur Amanda, dont « le cul pue ». Mimant un début de coït, position en levrette. Extrayant des matières du fond de son slip – on vérifiera : ce sont des œufs durs –, les écrasant au sol, les portant à sa bouche (là, possible haut-le-cœur, tout de même…). Se soulevant dans un spasme. Poignardant un coussin qui expire dans une pluie de plumes. Parlant de volailles. Renversant le fauteuil sur lequel elle était assise. Perdant sa perruque. Bondissant hors le cercle parfait de lumière crue dans lequel elle performait. Disparaissant par une porte en fond de scène.

Image: Katia Bassinini 'Mon oeil', 12 février 2009.  Photo (c) Petra Köhle + Nicolas Vermot Petit-Outhenin

Tout cela asséné à un public en voie de distraction, pétri par une soirée d’expériences de soi dans la confrontation à l’art-performance. Au sol traîne un tapis résiduel de matières – plumes, tissus, œufs, faux cheveux. Un paysage de ring après l’uppercut. Une explosion d’action vient de se produire. Une électrocution de références percutées. En moins d’une minute, un prélèvement, un arrachement, un bombardement, un collage, un déroulé sidérant de fragments de pièces et performances diverses de Carolee Schneemann. Ici, plus d’inquiétude sur la pertinence des relectures possibles. Un court-circuit dans le dérèglement des codes vient de se produire. Katia Bassanini a livré, injectée à brut, une séquence d’affolement scénique, déjouant les attendus d’une représentation normée. Il y fallait le temps ultra bref, fusionnel, d’une incandescence citationnelle référant à quarante années d’histoire ; comme à quatre heures de docte attention accumulée dans la soirée.

Il faut donc ré-envisager la portée de son premier essai à partir de Valie Export. Même dans le registre de la performance, le terrain de l’art n’est pas celui de l’évidence du sens, mais de son travail souterrain. De biais. Par échos différés. Sinuosités in-sues. Tel cet instant où la perfomer adossée au mur de la billetterie, scrutait la file des sages spectateurs s’acquittant sagement du sage montant de leur sage participation. A cet endroit, juste dans son dos, se trouve aussi l’étendoir où sont fixés les journaux du jour, que peuvent consulter les spectateurs-consommateurs du bar de l’Arsenic.  Prenons 24 heures, le quotidien lausannais. Ouvrons-le à la page des petites annonces. Portons-nous à la rubrique ˝Erotique˝. Nichés là, on y lit les arguments de location suivants : très grosse poitrine ; très grosse poitrine naturelle ; énorme poitrine ; gros seins ; grosse poitrine 180 ; etc. Des seins, des lolos, des nichons et des poitrines. Obstinément, à la façon d’un art modeste de la répétition.

Des seins postiches évocateurs de Valie Export, à l’affichage cinglant de l’autonomie érotique inspirée de Carolee Schneemann, une minute tout en début de soirée, une autre tout à la fin, Katia Bassanini paraît tendre l’arc électrique des enjeux de la performance féministe : soit un axe désintégrateur des assignations de rôles dévolus aux corps.

[1] Jeudi 12 février 2009, début de soirée au Théâtre Arsenic, Lausanne, Suisse.

[2] Au cours de la représentation qui suivait, je me suis demandé si cela m’autorisait à toucher les seins de mon jeune voisin dans les travées, affublé de son post-it. Mais je n’ai pas osé tenter un raccourci aussi sommaire…

*****
At the end of the 60s, beginning of the 70s,Valie Export walked through the streets of western cities with a cardboard model of a theatre stage in front of her breasts. She invited passers-by to put their hands through the curtains and touch her bare breasts. This performance, called Tap and touch cinema, directly involved the representation of women in the art of the 70s, and remains one of the most important and hard-hitting pieces by the artist.

Forty years later, on the opening night of the Performance Saga Festival[1]  , Katia Bassanini walks through the halls of the theatre (a semi-public space for a select audience). She wears an extravagant wig, unbelievable glasses and a set of oversize plastic breasts. All in all, the kind of burlesque attire you would expect at the carnival of a trade school. She talks to the spectators—male and female—standing in line at the ticket booth and offers to let them put their signatures on her plastic breasts. Afterwards, she sticks a post-it on their backs that reads (in French) : MY BREASTS ARE YOURS VALIE. [2]

The programme of the Performance Saga festival thematises the conditions for the possibility of transmitting performance art between the original founding generation—including Valie Export—and the present generation of artists—including Katia Bassanini.  At that point in the evening, the first installment of this operation might well leave one puzzled, for it seemed to consist merely of a downgrading shift from the Tap and touch cinema to a harmless warm-up before the main show. Not only that, but it juggled with references that were obviously unknown to most of the public to which it was addressed, thus preventing a full critical reading. And yet... but we'll come back to this.

We are now at the end of the evening. Robin Deacon has wound up his performance on the work of Stuart Sherman. It is late. The room is starting to empty fast; there is no word of another performance by Katia Bassanini. 

She appears amid the tiers and rushes on stage, wrapped in a broad, brightly-coloured sari that is somehow held together. Her face is made up and she wears a long shiny charcoal grey wig. She proclaims that it is now passé to appear nude in public. She ties a slip knot around her ankles, swallows some pills to make an end of it, coats her limbs with some kind of a lubricant. She talks about fist-fucking Amanda, "whose ass stinks". She mimics the first moves of copulation, doggy-style. She pulls things out of her underwear—hard-boiled eggs (we checked)—crushes them on the ground, stuffs them in her mouth (a bit of stomach-turning at this). She rears up in spasms, slashes a cushion that expires in an cloud of feathers (speaking of poultry), overturns the armchair she was sitting in, loses her wig, then leaps outside of the perfect circle of light in which she had been performing and disappears through a door backstage.

All of this thrown in the face of an audience on the downward curve of attention, replete with an evening of experiences of the self in a confrontation with performance art. The ground is littered with the residue of feathers, fabric, egg and fake hair. A boxing ring in the wake of an upper-cut. A burst of action. A shock of references. In less than a minute of sampling, tearing, bombing, collaging a staggering blast of fragments of different pieces and performances by Carolee Schneemann. No further concern about the pertinence of the possible readings this time. There has just been a short-circuit in the disruption of the codes. Katia Bassanini released a raw charge of staged frenzy, foiling the expectations of a formatted appearance. All it took was the lightning-quick, fusional interval of a blaze of quotations referring to forty years of history—like four hours of studious attention racked up in the course of the evening. 

After that, the scope of her first shot at Valie Export needed reconsideration. Even in the performance medium, the domain of art is no place for obvious meanings, but for its underground workings. Off-axis. Via echo delay. Sudden curves. Like the moment when the performer stood leaning against the ticket booth, eyeing the queue of sensible spectators, sensibly paying the sensible price for their sensible participation. Just behind her stood the display of daily newspapers available to the spectator-consumers of the Arsenic bar. Let's try the Lausanne daily24 heures. Let's turn to the page of classified advertisements. Let's look under the heading "Erotic". Neatly tucked in, we can read the following come-ons: very large breasts, very large natural breasts, huge breasts, big breasts, breast size 180, etc. Breasts, boobs, bongos, knockers, and so on. Obstinately, like a modest art of repetition.

From the fake breasts reminiscent of Valie Export to the electrifying display of erotic autonomy inspired by  Carolee Schneemann. In one minute at the beginning of the evening and another at the end, Katia Bassanini appears to have driven in the poles of what is at stake in feminist performance: defusing the attribution of roles to the body. 

[1]. Thursday, 12 February 2009, early evening at the Théâtre Arsenic, Lausanne, Switzerland.
[2].  During the programme that followed, I wondered if this permitted me to touch the breasts of my young neighbor across the aisle, who sported one of the post-its. But I balked at attempting such a radical short-cut


Translated by Jean-Marie Clarke

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